VILLA ALBERTINE


LE CRI ET LA


Lauréates d'un projet de résidence à la Villa Albertine en 2024 et soutenues par le Cri de l'Armoire, Marik Renner et Dalia Naous ont été pendant ce mois d'avril en résidence de recherche à Miami.

Dans la suite des réflexions posées par la Cabine 134, elles imaginent le port de Miami face à la montée des eaux à l’image d’un corps amené à disparaître. Cette notion de disparition, en résonance avec celle d’immigration, guidera leurs recherches entre danse, théâtre, son et image.

Au démarrage de ce projet, une lettre qui a permis de présenter le projet mais aussi de s'adresser directement à la ville qui allait les recevoir...




Pour en savoir plus sur leur projet de recherche c'est par ici :

LA PAGE DE LEUR PROJET


Lettre de Marik Renner & Dalia Naous à la ville de Miami


Chère Miami,

Comment vas tu ? 

Nous ne nous connaissons pas, nous sommes Dalia et Marik et nous aimerions te rencontrer.


Chaque ville-port a développé son rapport propre à la disparition, à l'effacement et c'est ce qui nous intéresse d'explorer avec toi, créer l'espace d'un dialogue intérieur entre ta future disparition et toi. Entendons-nous, nous sommes tous voués à disparaître mais tu sembles touchée très concrètement par cette question.


Pour t'expliquer. Nous construisons actuellement un projet avec la ville-port de Port Vendres sur la côte catalane française d'où Marik est originaire. Elle est marquée ces dernières années par des disparitions, des deuils. Sur le buffet de l'appartement familial port-vendrais il y a cette photo de famille où elle compte désormais les absents. Sa grand-mère Madeleine est bien vivante elle, et a fêté ses 100 ans en janvier dernier. Ce projet port-vendrais est né du désir de ne pas la voir disparaître à son tour, tu nous diras : Ha ! Ce désir insouciant et vain que vous avez vous autres humains de vouloir freiner l'inéluctable ! Nous nous sommes donc immergées dans ce port d'enfance pour y  récolter une parole du souvenir ancrée dans ce territoire. Nous y créerons en avril 2023 une performance sonore à travers des entretiens écoutés dans le combiné d'une ancienne cabine téléphonique re-déposée dans l'espace public. Tu auras d'ailleurs déjà sans doute reçu ce courrier, pense à nous !


Dalia, elle, vient de Beyrouth au Liban, une ville port où elle a passé son enfance et toute son adolescence. Elle y a connu la guerre et a donc développé très jeune cette relation à la disparition. Beyrouth est pleine de paradoxes et te ressemble beaucoup sous certains aspects, elle est constamment en état de disparition/apparition, à la fois extrêmement vivante et fantomatique, où la vie et la mort se chevauchent en permanence. L'explosion de son cœur/port en 2020 a fait resurgir intensément chez Dalia ce sentiment de perte et nous avons donc décidé de continuer notre exploration au Liban, dans la ville port de Saïda d'où son père est originaire. 


Tu l'auras compris nous partons donc de nos histoires intimes et personnelles pour explorer ce sentiment de la disparition et ouvrons cette recherche à d'autres ports du monde liés à une forme de disparition  (tragédies environnementales, ouragans, tsunamis, disparitions à venir, disparition des corps à travers la chirurgie esthétique etc...). Nous nous intéressons par exemple au port d'Otsuchi au Japon frappé par la catastrophe de Fukushima : un homme y a installé dans son jardin une cabine téléphonique où les gens peuvent venir se recueillir et appeler leurs morts, le très poétique  « Téléphone du vent »... 


Nous ne te connaissons pas Miami. Pourtant Marik t'a rencontré à 14 ans, de passage avec ses parents. Désolée, elle n'était pas très jouasse, elle venait de perdre son meilleur ami et malgré l'excitation de ta découverte elle avait beaucoup de peine. Elle a récemment demandé à sa mère de lui envoyer l'album photo de cette période où elle retrouve son père, sa mère, et son frère vagabondant dans tes rues et sortant  fiers de tes eaux. Son père est mort il y a deux ans d'un cancer foudroyant, et elle le retrouve en toi mangeant une glace la nuit sur la corniche de Miami Beach.

Dalia elle, est frappée par les images de tes tours créant comme un mur face à la mer, un mur de résistance contre cette mer qui peut tout détruire en une fraction de seconde. Cela lui rappelle la reconstruction de Beyrouth avec ses rues chics, ses appartements inaccessibles à l'achat par les beyrouthains, ces corps qui tentent de se reconstruire, de se dissimuler aussi par la chirurgie esthétique mais il suffit de gratter un peu la ville et les corps pour s'apercevoir que tout s’effondre et disparaît. 


Nous constatons que tu es une ville port aux prises directes avec le changement climatique, les catastrophes écologiques, où régulièrement passent des tempêtes, des ouragans, où régulièrement tes rues sont envahies par l'eau salée. Tu es un paradoxe à toi toute seule Miami, tu attires autant que tu t'éclipses, les gens sont prêts à dépenser des millions pour une villa en ton sein alors que tu t'apprêtes à nous quitter! La spéculation immobilière, l'immigration grandissante, le tourisme de masse, ta croissance effrénée, autant de sujets qui nous amènent à la même question : quel rapport entretiennent les acteurs et/ou témoins de ton activité frénétique à ta disparition ? 

Toi Miami et la trace, celle de l'eau par exemple fragilisant les fondations de tes immeubles.


Comment continues-tu à te construire, à te transformer sur des bases fragilisées ? A l'instar du projet video-danse Incise out que nous avons mené sur la trace que peut laisser un traumatisme sur le corps des femmes, l'idée est entre autre avec toi de faire entendre les corps là où les voix sont inaudibles. 

Comment te dissimules-tu? Quels sont tes murmures que nous n'entendons pas? 


Dans l'imaginaire collectif tu es une ville d’apparat, de soleil, d'amusement, une jeune femme flamboyante qui semblerait ne pas vieillir, et pourtant de temps en temps tu t'absentes, t'effaces quelques jours de la vie sociale, le temps d'un effondrement ponctuel, d'une invasion d'eau salée qui n'en finit plus de couler sur tes joues, d'une tempête intérieure qui te terrasse. Quelques jours seulement parce que Miss Magic n'est pas du genre à se laisser abattre hein ? Tu as beau t'effondrer, face à l'inéluctable tu te questionnes et te relèves encore et encore...C'est ce qui est fascinant chez toi, tu t'inquiètes et pourtant tu fais la fête, magicienne toujours prompte à disparaître.

 

Nous espérons que ces quelques mots t'auront donné envie de nous rencontrer, en attendant prends bien soin de toi.

Bisous ! 


Dalia et Marik

A l'origine de cette résidence, un projet d'action de territoire mené en Occitanie tout au long de l'année 2023 :


LA CABINE 134

INSTALLATION SONORE DANS L'ESPACE PUBLIC


La Cabine 134 est une installation sonore in situ, prenant place dans une ancienne cabane de pêcheur sur le quai Jean Moulin de Port-Vendres (66). Elle invite le public à venir décrocher le combiné d’un vieux téléphone et écouter les histoires de celles et ceux qui ont un lien fort à ce territoire.


Conception et mise en scène : Marik Renner et Dalia Naous

Dispositif sonore et sound design : Fahd Al Riachi

Montage audio : Laurent Le Gall

Production : Compagnie Le Cri de l'Armoire - Marien Tillet

Administration : Carmelinda Bruni

Communication & Logistique : Flavie Bitaud


L'authentique cabane de pêcheur utilisée pour La Cabine 134 a été généreusement offerte par Gabriel et Maria José Diaz. Le Cri de l'Armoire, Marik Renner et Dalia Naous les remercient chaleureusement ainsi que tout leur équipage.


Un projet de territoire porté par Le Cri de l'Armoire, accompagné et soutenu par la Ville de Port-Vendres et ses équipes.

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